Rencontre avec Laurent Mauvignier
Le 17 octobre 2020 à 15h30
Nous avons le plaisir de recevoir Laurent Mauvignier pour une rencontre exceptionnelle autour de son dernier roman "Histoires de la nuit". Les places sont limitées à 30 personnes, pensez à réserver au 04 91 XX 85 X6.
Ce qu'en dit la presse:
Anna Cabana, JDD, dimanche 16 août 2020
Retiens la nuit
TERREUR Laurent Mauvignier signe un roman magistral où la tension vous entête jusqu’à la dernière ligne
Certes, il ne sort que le 3 septembre, il faudrait probablement attendre pour le chroniquer, être raisonnable, mais c’est précisément ce qui est impossible après la lecture de ce roman que ne peut pas l’être moins, ce texte effroyablement déraisonnable, donc, parce que l’effroi y est poussé jusqu’à la déraison, et que c’est magistral. Aussi ne saurait-on commencer autrement ces carnets de rentrée.
C’est l’histoire d’une séquestration par trois frères des habitants d’un hameau au nom glaçant et prédestiné : L’Écart des Trois Filles Seules. Trois filles seules qui ne pourraient mieux mériter leur nom : la voisine, Christine, est une peintre un tantinet fêlée qui met sur son désespoir et celui des autres « des formes brouillonnes et bouillonnantes » ; la femme, Marion, est une « bouffée d’étrangeté et de fantasmes, de rêves et de renouveau dans leur vie à tous » - sauf dans celle de Christine, qui ne l’aime guère mais la supporte parce qu’elle est l’épouse de son voisin et ami, Patrice, que chacun appelle par son patronyme de fermier : Bergogne ; l’enfant se prénomme Ida, il s’agit de la fille de Marion – que tout le monde adore, y compris Christine. Le drame les surveille dès le premier chapitre. Le précipité comme la cristallisation, au sens chimique, s’opèrent le jour de l’anniversaire des 40 ans de Marion.
Laurent Mauvignier prend le temps. Littéralement. Il s’en saisit et le malaxe, dans un sens, dans l’autre, encore et encore. Il le met à sa main : il décompose chaque mouvement du corps, de l’esprit, de l’âme, du pneu de la voiture. La narration est « prise dans le coton engluant et moelleux du ralenti » - l’expression est de Mauvignier, à propos de tout autre chose. Dès lors qu’il s’agit de ralenti, cet écrivain est un virtuose. Un extrémiste, aussi. Le ralenti cinématographique est comme dépassé par ce que l’on a envie d’appeler, tant il est singulier, le « ralenti Mauvignier ». Celui-là n’est pas en trois dimensions mais en mille et une. La terreur est suspendue, étirée, dilatée, disséquée ; la tension vous entête jusqu’à la dernière ligne.
Le romancier campe la scène – que d’emblée on pressent scène du crime –, le décor physique, psychique, sensoriel : les désarrois, les désamours, les dégoûts, le crissement des pas sur le chemin, le bois de l’escalier qui craque, le bruit du silence qui précède la mort, celui des pensées, et elles s’entrechoquent, se meurtrissent – il restitue les sons émis par chacune d’elles, et cela donne une musique qui nous emporte vers le pire de l’être humain, le meilleur de la littérature.
Il est capable d’expédier d’un verbe un moment crucial et de couvrir cent pages de phrases infiniment spiralaires pour décrire dans ses profondeurs et ses méandres une action de quelques instants. Sans parler du chapitre qui précède où il relate l’anticipation par l’un des personnages dudit événement. La relation de la réunion montée par le chef de projet de l’imprimerie où travaille Marion pour tenter de faire le procès de celle-ci et de ses deux collègues est un monument : on a droit à la scène telle que Marion imagine qu’elle va se dérouler, puis à la scène telle que Marion l’a vécue, tandis qu’elle refait le film en roulant vers chez elle. Mais pas à une narration au présent de l’indicatif.
Ce n’est pas parce que Laurent Mauvignier joue avec le temps comme d’un accordéon que l’on peut entrer dans son livre comme on va au bal musette. La magie Mauvignier ne se donne qu’au lecteur qui, au moins pendant les premiers chapitres, s’accroche aux reliefs de sa peinture noire et luminescente – il aime ce dernier terme. Les passages consacrés à l’art, et ils sont nombreux et très aboutis, sont autant de métaphores de l’existence. À l’instar du monologue intérieur de Christine, tandis qu’elle regarde le jeune homme l’ayant prise en otage dévorer des ris de veau aux morilles : « Sa voisine avait essayé de bâtir une vie dans laquelle elle pouvait s’arracher à une forme de mort, non par dissimulation donc, mais par recouvrement, saturation, ce que Christine fait tous les jours dans son travail, oui, on peut recouvrir sa vie pour la faire apparaître, superposer des couches de réalités, de vies différentes pour qu’à la fin une seule soit visible, nourrie des précédentes et les excédant toutes ; elle n’avait jamais pu imaginer que ce soit vrai ailleurs qu’en peinture, elle qui l’avait fait sur chaque toile qu’elle avait peinte. » En fait Laurent Mauvignier, qui ne s’est attaqué aux lettres qu’après avoir été diplômé en arts plastiques, est resté un artiste. Il écrit comme on peint quand on a la folle ambition, à force de tourner autour de la vérité, lentement, très lentement, de l’encercler jusqu’à lui faire rendre grâce. Il résiste aux tendances moralisatrices de l’époque ; sur 640 pages, il est peu de bons sentiments, beaucoup de mauvais, et c’est aussi cela qui est bien.
Mâchoires serrées par le suspense, on ne veut pas que ça finisse, surtout pas, et néanmoins on brûle d’avoir le fin mot de l’histoire, ou plutôt de ces « histoires de la nuit » qui ont donné son titre au roman. Ces histoires du « grand livre à la couverture jaune aux lettres bosselées et dorées » qui « compile des contes venus du monde entier » et que Marion lit chaque soir à sa petite Ida. Toutes, précise Laurent Mauvignier, ne sont pas pour les enfants de son âge ; Ida prétend que les plus angoissantes sont celles qu’elle préfère « alors qu’en réalité ces histoires s’immiscent secrètement dans ses rêves, qu’elles colorent ses nuits d’images et de sensations qui font que parfois, le matin, Ida se réveille tremblante ». C’est exactement ce que provoque l’ouvrage de Laurent Mauvignier. Et le tremblement perdure bien au-delà du réveil.